« Le monde changera davantage lors des 20 prochaines années que lors des 300 dernières » : c’est par ces mots que Raphaël Thys entame généralement ses interventions. Prospectiviste et consultant (il ne réfute pas le terme « futurologue »), par ailleurs professeur invité à l’IHECS, il examine pour nous les tendances à l’œuvre. Le basculement est déjà survenu. Raphaël Thys le situe en 2020 avec la crise du covid qui, dit-il, « nous a fait changer d’état ». « Depuis, nous enchaînons les chocs : énergétiques, géopolitiques, technologiques, environnementaux... On est entrés dans une atmosphère hautement instable, qui produit de plus en plus de frictions. » Pour certains, au lieu d’un monde « vuca » (volatile, uncertain, complex, ambiguous), il faut désormais parler de « bani » (brittle, c’est-à-dire fragile, anxious, non-linear, incomprehensible) : « Un monde ‘bani’, c’est un monde qui devient globalement ‘vuca’, partout et tout le temps. On change de paradigme. Alors que ‘vuca’ décrit un environnement, ‘bani’ parle plutôt de l’effet qu’il produit chez les gens : le sentiment de ne plus savoir quoi faire, ni comment se préparer… » Même s’il est difficile dans un tel contexte d’émettre des prévisions – même pour un futurologue –, il est évident que l’un des principaux impacts sera celui de l’IA. « Non sans paradoxe : il est probable qu’une bulle éclate dans les deux ans, car les investissements ont été et restent énormes, pour des gains encore inférieurs aux attentes. Mais parallèlement, on continuera à voir des innovations, notamment avec l'arrivée des agents autonomes, capables d’exécuter des actions à votre place sur votre ordinateur. On verra aussi des avancées dans la robotique, dans la réalité hybride, ainsi que dans ce qu’on appelle ‘l’intelligence organoïde’ – mais ce ne sera pas encore pour 2025. » Sur d’autres fronts, Raphaël Thys pointe notamment le risque d’un désengagement des politiques climatiques et environnementales qui pourrait, par réaction, renforcer l’activisme. « Assisterons-nous aux premiers actes d’écoterrorisme ? Je l’ignore, mais je pense que c’est une question légitime. » L’horizon géopolitique, enfin, est celui de la fragmentation (« On passe d’un monde bipolaire, devenu unipolaire depuis 30 ans, à un monde multipolaire, où les alliances se réorganisent ») et de la démondialisation. Rien de très rassurant… Et cependant, notre interlocuteur trouve des raisons de croire en l’avenir : « Ma raison d’espérer, c’est la capacité extraordinaire de l’humanité à accomplir ce qu’elle désire. On a les connaissances, on a les technologies… Simplement, on doit pivoter nos objectifs. On doit s'inventer un nouveau futur désirable, et je pense qu'on est en train de le faire, même si cette phase d'adaptation peut être douloureuse. » « Nous parvenons à la fin de quelque chose. Dans une vision occidentale linéaire, c’est une pensée funeste, mais un esprit oriental y verrait le début d’un nouveau cycle – donc une raison de s’enthousiasmer. »
Article paru sur le blog de l’ichec