Traduction française de l’article Full-breadth developer de Justin Searls
Le monde du développement logiciel est en pleine mutation. L'intelligence artificielle générative, qui a fait une entrée fracassante, a chamboulé le marché et rendu certaines compétences obsolètes. À ce point de rupture, il y a des gagnants et des perdants. De mon point de vue, les développeurs totaux — ces esprits qui allient à la fois des compétences techniques et un sens aigu du produit — sont les grands vainqueurs de cette nouvelle ère.
Ce n'est pas une intuition, mais un constat. Ces derniers mois, j'ai vu des développeurs qui ont une compréhension minimum du business brûler des to-do lists à un rythme effréné. Ces outils de génération de code ont récemment franchi un seuil de capacité majeur. J'ai moi-même pu, en deux jours, réaliser l'équivalent de deux mois de travail.
Comment ? En ayant une vision claire du produit, en maintenant des standards techniques rigoureux et en laissant l'IA faire le reste. Si vous êtes capable d'intégrer la pensée critique, le bon goût et des compétences techniques solides dans une seule et même tête, ces outils peuvent décupler votre productivité. À l'inverse, si on scinde ces rôles, si on sépare la personne qui pense le produit de celle qui le code, la productivité s'effondre. Le coût de la communication devient tout simplement trop élevé.
La fin d'une ère : tout le monde ne peut pas gagner
Pourtant, la plupart des entreprises et des développeurs que je vois autour de moi semblent se diriger droit vers l'échec. Pendant des décennies, on nous a appris que les rôles de "product" et d'"ingénieur" devaient être strictement séparés. Suggérer qu'une seule personne puisse piloter à la fois la conception et l'exécution technique semblerait absurde pour beaucoup. Même les entreprises qui ont compris l'enjeu peinent à recruter ces profils rares. Leurs fiches de poste obsolètes et leurs grilles salariales ne sont tout simplement pas adaptées à ces caméléons.
Il y a un sentiment d'urgence dans l'air. Il y a quelques mois, les meilleurs développeurs jouaient du violon. Aujourd'hui, ils dirigent l'orchestre entier.
Ce que j'ai appris chez Google
C'est un sujet qui me passionne depuis le début de ma carrière, alors excusez-moi si je me laisse aller à une certaine satisfaction en repensant à cette anecdote.
En 2007, alors que j'étais encore à l'université, j'ai passé un entretien téléphonique avec Google qui m'a valu un voyage tous frais payés au mythique Googleplex. J'ai été lamentablement recalé. Je me souviens d'une session de groupe avec un ingénieur de renom, présenté comme l'inventeur de BigTable. À un moment, il a dit : "l'une des grandes forces de Google, c'est que la voie de l'ingénierie et celle du produit sont totalement distinctes."
Ayant toujours eu le désir d'allier mes compétences techniques et non-techniques, je me suis senti interpellé. Incapable de me taire, j'ai levé la main et demandé : "Et si on était un profil hybride ? Et si on pensait qu'il était essentiel pour tout le monde de s'engager à la fois dans la technologie et le produit ?"
Il m'a regardé droit dans les yeux et m'a répondu que je n'étais pas fait pour Google. La recruteuse a mis fin à ce silence gênant en nous emmenant à la cafétéria. Elle m'a suggéré de goûter aux fameux ice cream sandwiches. Mon appétit, pour une raison qui m'échappait, s'était envolé.
Depuis, de plus en plus d'entreprises ont adopté ce système de "double-voie" venu de la Silicon Valley : les techniciens d'un côté, les "gens des idées" de l'autre.
Ce qui sépare les gens
Revenons aux gagnants et aux perdants. Certains ont adopté une approche "AI-first" et ont jeté à la poubelle tout ce qu'ils savaient. D'autres dénoncent l'IA comme une simple lubie, une bulle qui va exploser. C'est un sujet que j'aborde avec précaution, comme on demanderait à quelqu'un ses opinions politiques. Pendant des mois, je me suis demandé pourquoi il était si difficile de deviner l'avis d'un développeur sur l'IA.
C'est là que je me suis souvenu de ce jour chez Google. Et j'ai réalisé que les développeurs que je connais et qui ont embrassé l'IA sont souvent plus créatifs, orientés vers les résultats et ont un bon sens du produit. À l'inverse, les détracteurs sont plus susceptibles de coder pour le plaisir de coder, d'attendre des instructions claires ou de vouloir que leur travail s'inscrive dans une routine. Les premiers se sentent libérés par ces outils, tandis que les seconds s'en sentent menacés.
Aujourd'hui, quand je regarde qui s'en sort et qui a du mal, la volonté d'être polyvalent est le meilleur indicateur de réussite.
Une lueur d'espoir
Si vous avez lu jusque-là et que ce message n'a pas résonné en vous, peut-être qu'il a ravivé vos peurs concernant l'IA. Ou peut-être que vous pensez que je raconte n'importe quoi. Dans tous les cas, que votre organisation ne soit pas adaptée à cette nouvelle ère ou que vous ne vous identifiez pas encore comme un développeur polyvalent, cette section est pour vous.
Aux leaders : engagez une bonne agence
Mon but est de trouver une nouvelle expression pour décrire cette transformation, mais nous avons toujours eu un mot pour décrire ces développeurs totaux : consultant.
Non pas parce que les consultants sont des génies. Mais parce que, comme je l'ai appris chez Google, pour que ces développeurs donnent le meilleur d'eux-mêmes, ils doivent exister en dehors des structures organisationnelles classiques. Il n'est donc pas étonnant que mes consultants préférés soient les premiers à adopter l'IA. Non pas parce que c'est une tendance, mais parce que leur disposition naturelle est parfaitement adaptée à ces nouveaux outils. Ils sont les premiers à voir le potentiel de l'IA pour améliorer la manière dont on conçoit les logiciels.
Aux développeurs : félicitations pour votre nouveau job
Je sais que beaucoup de développeurs sont effrayés par ces changements. Oui, l'IA est utilisée comme excuse pour licencier. Oui, la formation des modèles a été faite de manière douteuse. Oui, les "hustle bros" racontent n'importe quoi. Tout cela est vrai, et pourtant, cela ne change rien. Votre travail tel que vous le connaissiez a disparu.
Si vous voulez continuer d'être payé, on vous a peut-être dit de "monter dans la chaîne de valeur". Je vais le dire plus clairement : trouvez comment votre employeur gagne de l'argent et positionnez-vous directement entre le compte en banque de l'entreprise et les informations de carte de crédit des clients. Plus il faut de phrases pour expliquer comment votre travail génère de l'argent pour votre employeur, plus vous êtes bas dans la chaîne de valeur et plus vous devriez vous inquiéter. Il n'y a pas d'autre choix que de sortir de votre zone de confort.
Prenez au sérieux ces nouveaux outils. Au début, vous allez reculer d'horreur. Vous allez vous rendre compte que ces outils sont vraiment mauvais pour vous remplacer. Qu'ils font constamment des erreurs. Votre nouveau travail commence en apprenant à les maîtriser. Vous apprendrez progressivement comment en tirer quelque chose qui ressemble à ce que vous auriez fait vous-même. Une fois ce cap passé, le défi sera de les faire passer à l'échelle.
Votre nouvelle mission est de créer un impact maximal. N'attendez pas qu'on vous dise quoi faire, identifiez les opportunités. Votre manager appréciera que vous cherchiez à avoir un impact plus grand. Écoutez les défis majeurs auxquels l'entreprise fait face et proposez-vous pour faire partie de la solution.
Ces conseils auraient été valables il y a dix ans déjà. Ce n'est pas sorcier, c'est juste profondément inconfortable pour beaucoup de gens.